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Des dossiers aux enjeux juridiques, financiers, sociétaux ou humains. De l’affaire « Khadija » au litige « Ynna Holding / Five FCB » en passant par les victimes de l’accident du train à Bouknadel, retour sur ces procès oubliés, en retard. Ou les deux cumulés.
Enfant né hors mariage: la révolution ou Ibn Hazm
Le test ADN établit-il la filiation ? En 2020, poser cette question pourrait vous valoir, au mieux, des rires sarcastiques. Pourtant, au Maroc et dès lors qu’il s’agit d’un enfant né hors mariage, les juridictions peinent encore à intégrer cet outil scientifique comme moyen de preuve.
Le 30 janvier, le tribunal de la famille de Tanger avait cependant ouvert une brèche. Dans un jugement qualifié alors de révolutionnaire, la juridiction avait reconnu la filiation à un enfant dit « illégitime », tout en condamnant son père « biologique » à lui verser une indemnisation. Le père avait renié sa progéniture.
Pour être précis, le tribunal avait reconnu la filiation parentale (Al Bounouwa), mais s’était gardé de reconnaître la filiation paternelle (Al Nasab). Laquelle permet à l’enfant de porter le nom du père, de toucher une pension, d’hériter son patrimoine, etc. En somme, d’avoir des droits vis-à-vis de son géniteur.
Aujourd’hui encore, la filiation paternelle ne peut découler que d’un rapport conjugal (Al Firach), de l’aveu du père (Iqrar) ou d’un rapport sexuel par erreur (Choubha) ou d’un viol (art 152 de la Moudawana).
Une révolution, donc, mais en demi-teinte. Surtout que le même jugement sera infirmé quelques mois plus tard par la cour d’appel. Motif: test ADN ou pas, lien biologique établi ou non…, l’enfant né en dehors du lien conjugal demeure, en toutes circonstances, étranger à son père ! Une interprétation puisée d’Al Muhalla, livre regroupant les exégèses d’Ibn Hazm Al Andaloussi.
L’enfant né hors mariage « n’a pas de droit sur le père, ni en ce qui concerne la bonne action ni en ce qui concerne la pension alimentaire (nafaqa). Les empêchements au mariage (al tahrim) ou d’autres droits ne luis sont pas accordés. Il lui est étranger », avait tranché le juge.
De ce raisonnement, doit-on conclure que l’enfant est tellement « étranger » au père qu’il peut même l’épouser (dans le cas d’une fille)? C’est pourtant ce que pointe l’arrêt de la cour d’appel en évoquant « les empêchements au mariage ».
Après l’arrêt d’appel, la mère de l’enfant s’est pourvue en cassation. Et depuis, la plus haute juridiction du Royaume n’a toujours pas tranché. Trois ans d’examen, c’est que le dossier est décisif: la décision pourrait, soit amorcer une révolution juridique et sociétale, soit conforter les exégèses d’Ibn Hazm.
Affaire Khadija: l’émotion, plus éphémère que les tatouages
Août 2018, les images du corps tatoué de Khadija, 17 ans alors, font le tour de la planète. A l’époque, cette affaire secoue l’opinion publique, effarée. Elle mobilise une partie de la société civile pour cette adolescente, qui, devant les médias – et préalablement au poste de la Gendarmerie- fait le récit de sa séquestration, son viol et sa mutilation par une dizaine de personnes.
Macabres, les faits se sont déroulés entre juin et août 2018 à Oulad Ayad, petite localité désolée de Beni Mellal. Ils donneront lieu à une enquête préliminaire puis une instruction judiciaire, avec son lot d’expertises. Mars 2019, le juge d’instruction livre ses conclusions et défère 12 accusés devant la Chambre criminelle près la cour d’appel de Béni Mellal.
Les accusations sont gravissimes: on y trouve le viol, la traite d’êtres humains, mais aussi « la séquestration avec soumission de la victime à des tortures corporelles ». Cette infraction est passible de la peine capitale.
Où en est ce dossier? La première audience a eu lieu le 29 avril 2019. Une vingtaine de séances plus tard, l’affaire n’a toujours pas été mise en délibéré. Sollicitées, les parties proches du dossier ne semblent pas entrevoir une issue proche. Et imputent ce retard à des « questions de procédures ».
En somme, deux ans après les faits, ni la victime ni les accusés ne sont fixés. Tout aussi macabres, d’autres affaires ont relégué le drame de Khadija à son statut de fait divers. A l’épreuve du temps, l’émotion semble plus éphémère que les tatouages.
Accident du train de Bouknadel: un dossier initialement pénal, où l’enjeu est désormais civil
16 octobre 2018, 10H21. Sur la ligne ferroviaire reliant Rabat à kénitra, un train déraille et percute le mur du pont Ain Barka, érigé sur le tronçon de Bouknadel. L’accident fait 7 morts et 125 blessés. Au Maroc, l’émoi est général. On réclame une enquête et des sanctions. Un procès est ouvert au tribunal de première instance de Salé, avec le conducteur du TNR9 comme unique prévenu. 5 mois plus tard, Larbi Rich est reconnu coupable d’homicide et blessures involontaires. Il est condamné à la peine qu’il a purgée en détention préventive, puis libéré dans la foulée.
Deux ans après, l’affaire n’est pas bouclée. Loin de là. Au TPI de salé, on a statué sur l’action publique, mais toujours pas sur l’action civile accessoire. Entendez : il reste encore à indemniser les 53 blessés et ayants droit, constitués en partie civile contre l’Office nationale des chemins de fer. Car si en matière pénale, la responsabilité personnelle du conducteur a été engagée, sur le plan civil, la compagnie ferroviaire répond des « fautes » commises par son personnel.
Où en est donc ce volet ? Depuis la condamnation de M. Rich, le tribunal a ordonné des expertises médicales qui n’ont pas toutes été livrées. Les raisons invoquées sont diverses (par exemple: remplacement de l’expert, expert non payé, etc.)
La même juridiction a tenu 12 audiences avec des intervalles d’un à deux mois entre chacune. Une énième audience a eu lieu le 15 septembre 2020. Le juge Hizam El Malki a dû expédier le dossier au 27 octobre 2020. Motif, encore, des experts n’ont pas encore déposé leurs conclusions.
Ynna Holding vs Five FCB: en attente d’une décision de principe
Un grand litige commercial s’évalue à ses protagonistes et ses enjeux financiers. Celui opposant Ynna Holding (groupe de la famille Chaabi) à Five FCB (groupe français d’ingénierie industrielle) remplit ces deux critères. Mais coche une troisième case, exclusive aux très grands dossiers: le débat juridique qu’il génère.
Dans cette affaire, la question est la suivante: une clause compromissoire signée par une filiale peut-elle engager sa société mère pourtant non-signataire ? L’issue de ce conflit demeure suspendue à une réponse attendue depuis une décennie.
Le dossier a été d’abord traité devant l’arbitrage international. En 2011, un tribunal arbitral suisse décide de condamner Ynna Holding et sa filiale (Ynna Asment) à payer solidairement 30 millions d’euros à leur adversaire français qui les accusent de rupture abusive d’un contrat conclu en 2008. Ici, donc, les arbitres ont étendu la clause compromissoire à la société mère.
2012, le président du tribunal de commerce rend une ordonnance d’exéquatur, mais exclut Ynna Holding car « non-signataire » de cette clause. 2015, la cour d’appel infirme cette décision ce qui conduit le groupe Chaâbi à se pourvoir en cassation.
Cinq ans plus tard, la plus haute juridiction du Royaume n’a pas livré son verdict. L’affaire est « mise en délibéré » et cela dure « depuis longtemps », rapporte un avocat concerné. « Juridiquement, l’enjeu est majeur. Le dossier est attendu par les parties, mais aussi par les juristes et la communauté des affaires ».
« Enjeu juridique majeur », cela n’a pas échappé à la Cour de cassation. Elle a réuni toutes ses chambres pour émettre un arrêt de principe, susceptible d’orienter les dossiers similaires. Une jurisprudence en attente.
Sûretés sur la Samir: BCP contre tous
La Banque centrale populaire gardera-t-elle ses garanties sur la Samir ? La banque est aujourd’hui titulaire de deux sûretés réelles sur le raffineur en liquidation (Une hypothèque à hauteur de 1,2 MMDH et un nantissement sur fonds de commerce de 50 MDH). Mais ces acquis ne tiennent qu’à un fil, celui de l’arrêt que s’apprête à rendre la cour d’appel de commerce de Casablanca.
La licéité des deux sûretés est contestée par la Samir et son liquidateur Abdelkbir Safadi. Mais aussi par les salariés de la raffinerie et surtout par l’Administration des Douanes et impôts indirects. Tous se liguent contre BCP pour affirmer qu’elle a contracté l’hypothèque et le nantissement, au moment où le raffineur était déjà en cessation de paiement. Autrement dit, durant la période suspecte. Entendez: BCP est suspectée d’avoir entamé cette démarche pour prendre l’avantage sur d’autres créanciers.
Car oui, derrière ce grief juridique, c’est surtout une course impitoyable au paiement que se livrent les principaux créanciers de la Samir. Moyennant ses garanties, BCP s’assure le premier rang sur la partie couverte par l’hypothèque. Une position convoitée par la Douane et son statut de créancier public (16,7 MMDH, si on exclut les amendes avoisinant les 50 MMDH).
Mais où en est ce dossier ? BCP a reçu un jugement défavorable en première instance, puis favorable en appel. Cette dernière décision sera finalement « cassée » par la Cour de cassation. Laquelle a renvoyé les parties, une deuxième fois, devant la cour d’appel de commerce.
Ce dernier round est en cours. Il est le plus décisif, mais aussi le plus discret. Les enjeux financiers sont considérables. Au chevet de BCP, on retrouve deux poids lourds du barreau de Casablanca (Me Hamid Andaloussi et Me Bassamat Fassi Fihri).
Le dossier a été transmis au ministère public qui devrait livrer ses conclusions d’ici le 21 septembre, date de la prochaine audience. Entre-temps, le juge-rapporteur chargé de l’affaire a été remplacé. Et à ce stade, on ne sait si cet événement aura des conséquences sur le déroulé du procès.
Samir vs Douane: une affaire à 2 milliards de DH
Dans le dossier cité plus haut, la Douane et la Samir s’associent contre le même adversaire. Dans un autre dossier, les deux parties s’écharpent au tribunal administratif de Rabat.
En jeu: 1.931.975.859,39 DH! Le raffineur voudrait obtenir la restitution de cette somme, correspondant à des avis à tiers détenteurs, que la Douane aurait encaissée « illégalement », « avant et après » la mise en liquidation du raffineur (mars 2016).
Cet argent avait été directement recouvré auprès de clients de la Samir, argue la défense du raffineur. Au total, 26 clients sont concernés, des acteurs du secteur pétrolier pour l’essentiel (Afriquia S.M.D.C., Total Maroc, Ziz, Winxo, ViVo Energy Maroc, etc.). Le syndic réclame l’annulation de toutes ces opérations et la restitution des sommes qui en découlent.
Ouvert en février 2019, ce litige a fait lentement et discrètement son chemin devant les juges administratifs. Pas moins de 36 audiences et des milliers de pages de documents ont été versés, notamment par la Douane. Le dossier a été plusieurs fois placé, puis retiré des délibérés. C’est dire la complexité de ce contentieux qui mêle droit administratif et commercial (On reproche à un créancier public d’avoir recouvré des sommes lors de la période suspecte).
Où en est ce dossier ? Aux dernières nouvelles, une décision est attendue pour le 30 septembre.
Source: Médias24