"> Créances: Du sur-mesure pour les débiteurs de mauvaise foi! – Cabinet Ghali Laraqui

Créances: Du sur-mesure pour les débiteurs de mauvaise foi!

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Durant cette période de crise, les entreprises seront nombreuses à faire face à de sérieuses difficultés financières. Les délais de paiement, déjà très allongés, pourraient s’aggraver encore plus. Pareil pour les impayés. Les créanciers risquent d’être dans une très mauvaise posture. Comment se prémunir contre les débiteurs qui s’évanouiraient dans la nature? La situation est pour le moins problématique.

S’exprimant lors d’une récente e-conférence de l’Association pour le progrès des dirigeants (APD), Bassamat Fassi Fihri, fondatrice du cabinet Bassamat & Laraqui, a proposé la mise en place d’un système d’alertes, à l’instar du modèle de certains pays européens.

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En 2019, quelque 136.515 affaires ont été enregistrées dans les tribunaux de commerce. La capitale économique en a concentré plus de 58%. Avec la crise, l’aggravation des difficultés des entreprises, des impayés…, ce chiffre pourrait bien partir à la hausse en 2020

«En Belgique, quand une entreprise ne s’acquitte pas de ses charges sociales, ne dépose pas ses états de synthèse, ne fait pas preuve de régularité fiscale… Des alertes sont envoyées au tribunal de commerce. Un système d’information donne la possibilité à n’importe qui de vérifier si le débiteur est dans une procédure judiciaire collective, d’accéder à son bilan économique et social…», illustre l’avocate.

Le dispositif permet aussi au tribunal de convoquer le chef d’entreprise, non pas pour le sanctionner, mais pour comprendre ses difficultés et lui proposer un accompagnement adapté à sa situation. «C’est ainsi que nous pourrons assainir le tissu économique en amont, car c’est ce dont nous avons besoin au Maroc», poursuit l’avocate.

Des juges commissaires et des syndics non formés

De leur côté, les entreprises en proie à des difficultés financières, sans toutefois être en cessation de paiement, peuvent profiter de plusieurs mesures de soutien au niveau du tribunal de commerce. Elles peuvent bénéficier d’un mandataire spécial ou d’un conciliateur pour les aider à obtenir des délais de paiement supplémentaires, ou à négocier avec leurs fournisseurs ou salariés.

En cas de difficultés totalement insurmontables, l’entreprise peut demander à être placée sous la protection du tribunal dans le cadre d’une procédure de sauvegarde (entrée en vigueur en avril 2018), durant laquelle toutes les poursuites judiciaires des créanciers sont suspendues.

Si le plan de sauvegarde n’est pas respecté, il ne reste que deux options: le redressement judiciaire ou la liquidation. «Il s’agit d’une innovation majeure, mais qui a été adoptée à la va-vite, afin de monter dans le classement Doing business. Cette procédure est aujourd’hui considérée par de nombreux praticiens comme un véritable échec», souligne Fassi Fihri.

Les juges commissaires ne disposent d’aucune formation spécifique en matière de restructuration d’entreprises. Pareil pour les syndics, un maillon important de la procédure de sauvegarde, qui en plus représentent les intérêts «antinomiques» des débiteurs et des créanciers. Le texte relatif aux syndics se fait, d’ailleurs, toujours attendre (profil, formation, honoraires…).

Un effet boule de neige

Le syndic a pour rôle d’établir un rapport sur la santé économique de l’entreprise en difficulté et de valider le plan de sauvegarde. Il dispose d’un délai de 4 mois pour livrer son rapport. Cependant, dans la pratique, il peut aller à 24 mois, selon Fassi Fihri.

«Imaginons que l’entreprise obtienne un plan de sauvegarde de 5 ans. Si au bout de la troisième année elle ne paie plus ses créanciers, elle peut décrocher un plan de continuation sur 10 ans, en plus d’un an de différé. En fin de compte, la procédure s’étalera sur 14 ans durant lesquels les créanciers seront peu ou pas du tout payés. Si à la fin l’entreprise débitrice ne paie plus, elle passe en liquidation judiciaire», relève Bassamat Fassi Fihri.

«Elle aura mis en difficulté ses créanciers qui à leur tour ne paieront pas les leurs, créant ainsi un effet boule de neige», ajoute-t-elle. Censée permettre aux structures de dépasser leurs difficultés, de continuer leur activité, préserver leurs emplois…, la procédure de sauvegarde ne rend finalement service à personne, selon l’experte.

L’avocate suggère la mise en place de comités de soutien composés d’experts de la restructuration d’entreprises dans les tribunaux, en partenariat avec le patronat. «Pour moi, ces procédures de traitement sont extrêmement adaptées aux débiteurs de mauvaise foi souhaitant échapper au paiement de leurs dettes. Par ailleurs, les sociétés y rentrent généralement avec un rhume pour en sortir dans un coma profond», déplore l’avocate. Une révision urgente du code de commerce s’impose.

Le jeu du chat et de la souris

Les débiteurs de mauvaise foi trouvent mille et une manières de berner leurs créanciers. Ils peuvent, par exemple, du jour au lendemain changer de siège social afin de relever d’un tribunal «conciliant», leur accordant plus facilement un plan de sauvegarde durant lequel toutes les poursuites judiciaires sont mises en suspens.
Si une entreprise bénéficiant d’un jugement de sauvegarde est déclarée en redressement ou en liquidation judiciaire, la décision est publiée au BO. Les créanciers disposent de deux mois pour déclarer leur créance en vue de se faire payer. «Le BO sort en langue arabe et n’est pas tout de suite disponible sur internet. Il faut y être abonné et l’éplucher à chaque fois à la recherche d’informations sur son débiteur. Ce dernier peut prendre certaines précautions», relève Bassamat Fassi Fihri. Il peut, par exemple, traduire son nom commercial du français à l’arabe, utiliser son nom complet au lieu d’une abréviation ou le contraire… Son créancier peut ainsi ne pas le reconnaître. «Dans la pratique, 40% des créanciers voient leur créance éteinte car ils ont loupé le délai des deux mois», assure l’avocate. La vigilance est donc de mise, surtout durant cette période de crise. «Même quand les créanciers se déclarent à temps, le débiteur conteste systématiquement, et c’est parti pour trois ans de vérification de la créance!» ajoute la fondatrice du cabinet Bassamat & Laraqui.

 

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Source: L’economiste